Antoine Fontaine, le peintre scénographe

Cet artiste aux multiples casquettes est le décorateur du ballet Casse-Noisette qui sera présenté au Théâtre du Capitole en décembre.

Entretien exclusif avec cet artiste internationalement reconnu

De peintre vous êtes devenu scénographe, comment s’est fait la transition ?
Il était assez difficile dans les années 80 de faire de la peinture figurative sans être ringard. Le monde du spectacle a contrario avait besoin d’images, de figuration. Je pouvais donner libre cours à mes envies, protégé du regard du monde de l’art.

Ce qui vous plaît le plus dans la scénographie ?
Travailler à l’échelle humaine. On débute par la maquette (l’extrêmement petit) jusqu’au gigantesque. Il y a quelque chose de fascinant de passer du rêve sur la table à quelque chose qui nous dépasse. On peut projeter ses rêves dans un théâtre. Ça m’épate toujours cette possibilité de se réaliser en si peu de temps et avec si peu de moyens.

Quid de la machinerie ?
Elle fait partie intégrante de la scénographie. Les décors se modifient sous l’œil du public. Il y a vraiment un besoin, probablement enfantin – je fais ce que je rêvais de faire petit –, de faire quelque chose de ludique, même dans les sujets les plus graves. J’ai eu la chance de beaucoup travailler avec un maître dans cet art de l’ingéniosité, Jean-Marc Stehlé.

Au final, êtes-vous plutôt peintre en décor, machiniste, scénographe ?
Mon métier de départ est celui de peintre. À celui-ci s’est ajouté la machinerie traditionnelle (la mécanique) et par prolongement, la scénographie. Je suis aussi costumier depuis peu. C’est un tout.

Votre métier est un métier de dialogue dites-vous ?
Ce qui est très beau en effet dans le théâtre, c’est qu’on doit travailler à plusieurs. Nous sommes donc obligés de verbaliser beaucoup pour aller tous dans le même sens. Cela induit de prendre en compte le regard de l’autre, ce qui enrichit obligatoirement le travail de peinture.

On vous voit peindre debout sur une toile au sol ?
La peinture de décor se fait en effet debout avec des pinceaux emmanchés, notre toile au sol. Il y a quelque chose de très chorégraphique à travailler ainsi et à être obligé de prendre de la distance (escabeau, échafaudages) pour regarder son travail. Le moment où on dresse ensuite les toiles dans le théâtre, c’est physique, c’est fascinant.

Selon vous, le métier de peintre en décor est en danger ?
Mon dernier élève a 40 ans. Nous sommes supplantés culturellement par la reproduction numérique. Les jeunes scénographes n’ont plus de cours de peinture et font peu de dessins en direct, ils n’utilisent plus autant les peintres en décor. Par manque de pratique, notre métier se raréfie et les prix augmentent en conséquence.
Aujourd’hui, je n’ai quasi plus de concurrents à Paris alors qu’on en comptait une dizaine avant.

Vous êtes le décorateur de la toute nouvelle version du ballet Casse-Noisette qui sera présentée en décembre au Théâtre du Capitole, que pouvez-vous nous en dire ?
Kader Belarbi (NDLR : le directeur de la danse du Théâtre du Capitole) voulait une vraie féérie. Il m’a demandé au départ un décor « pop-up » qui a évolué progressivement vers un système de boîtes qui s’ouvrent et de sous-décors qui se déploient. L’histoire se passe dans un orphelinat très triste des années 40 qui se déstructure pour devenir un décor onirique. Chaque boîte s’ouvre différemment et doit pouvoir être manipulée par les danseurs qui se font machinistes. Elles doivent aussi être transportables pour tourner dans d’autres théâtres. Le défi a été à la fois technique et financier.

Combien de temps avez-vous travaillé sur ce Casse-Noisette ?
Il faut compter un an environ de travail avec Kader Belarbi mais aussi le costumier Philippe Guillotel, l’éclairagiste, le bureau d’études, les artisans, les peintres… Ça a été plutôt rapide, en général c’est plutôt 18 mois.

Vos expériences les plus marquantes ?
En tant que peintre, la réalisation d’un panorama à 360° au Luxembourg. Une peinture sans fin dans laquelle se perdre. Parmi mes plus beaux projets, la scénographie d’Hippolyte et Aricie, une sorte de concentré de tout ce que je savais faire. L’habillage du Théâtre du Capitole, 1 an de travail ! Dans le domaine du cinéma, la création de décors pour L’Anglaise et le duc, un film d’Eric Rohmer qui se passait au XVIIIe siècle. Il voulait montrer le Paris de l’époque en recourant à des décors peints.

Votre rêve de scénographe ?
Je l’ai réalisé. Je voulais depuis toujours réaliser un décor au Palais Garnier. Ça a été un sommet pour moi que de refaire totalement en 2012 les décors d’Hippolyte et Aricie, avec la machinerie du Palais Garnier qui ne servait plus depuis des années. Un rêve devenu réalité. Mais il reste encore plein de choses à faire !


En quelques mots

Théâtre, cinéma, publicité… Antoine Fontaine est un peintre en décor et un scénographe touche à tout. Diplômé de l’École nationale des Beaux-Arts de Paris, il débute comme peintre sur des restaurations monumentales (Passage Colbert à Paris, Élysée Montmartre…). Depuis 1986, il est scénographe pour l’opéra et le théâtre : Théâtre royal de Brighton, Scala de Milan, Opéra-Comique… Au cinéma, il est connu pour avoir réalisé les fresques de La Reine Margot de Patrice Chéreau ainsi que les décors de scène de Vatel de Roland Joffé, de Marie-Antoinette de Sofia Coppola, de Faubourg 36 de Christophe Barratier ou encore de Coco avant Chanel d’Anne Fontaine. Il a aussi scénographié plusieurs expositions. Pour le Théâtre du Capitole, il a créé les décors grandioses des Maîtres chanteurs de Nuremberg en 2002, la scénographie de l’opéra de Rameau Hippolyte et Aricie en 2009. Il a également conçu et réalisé les décors en trompe-l’œil de la salle du Capitole.


AGenda

Casse-Noisette
Théâtre du Capitole
21, 22, 23, 26, 27, 29 et 30 décembre à 20 heures
24 et 31 décembre à 15 heures


Photos : Patrice Nin

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